La fin des non-publics

Penser un projet de politique culturelle, c'est avant tout penser aux publics et les connaître. En somme, remiser les préconçus de l'action culturelle pour aborder la médiation différemment.

L’action culturelle va souvent de pair avec une programmation culturelle. Si cette dernière est souvent le fer de lance d’une institution culturelle ou artistique – assortie de choix, en responsabilité d’une équipe de programmation – l’action culturelle offre des visages beaucoup plus variés. Cette action culturelle, à la terminologie étonnante d’ailleurs, comme si le reste n’était pas aussi actif, entend donc créer des liens avec les publics sur des propositions de programmation plus ou moins en phase avec un large public. La réponse de bon nombre d’institutions culturelles, jusqu’au Ministère de la Culture, est donc d’apporter un service supplémentaire en charge de la diffusion auprès du « grand public ». Ce « grand public », difficile de fait à définir, serait en réalité le plus souvent composé de publics. Aux pratiques hétérogènes. Définis par ce ministère par autant de termes que de réalités : « public empêché », « public vulnérable », voire cet édifiant « non-public », la terminologie changeant par à-coups de directives et de circulaires.

Un constat d’urgence

Ce constat pose une urgence, voire deux. La première étant de s’arrêter sur les termes employés, la seconde allant de la reconsidération même des publics. La richesse de vocabulaire et de termes pour définir les publics qu’on ne voit pas au spectacle, ou dans les expositions, représente très certainement une violence symbolique supplémentaire pour ces mêmes publics, restant avant tout des personnes. « Vulnérable », à quoi ? « Empêché » de quoi ? De prendre une place dans une culture définie le plus souvent sans concertation et sans adhésion en amont des publics, pris pour « cible », dans la réalisation d’actions culturelles. Le constat est pourtant évident et posé par la sociologie, en termes de capital culturel pour expliquer les pratiques artistiques et culturelles individuelles ou collectives. Mais cela ne suffirait pas à mettre en adéquation les valeurs portées par l’action culturelle et ses réalisations.

Toujours avoir les publics en tête

Le public n'est pas une caution. Ni un faire-valoir. Mais un moteur essentiel pour faire vivre la culture et l'art sur les campus nantais. Les porteurs de cette ambition se retrouvent en vidéo pour détailler leurs expériences avec l'Université de Nantes.

Ces publics vulnérables ont des réalités multiples : précarité, isolement, âge, territoire rural, etc. s’imposent comme autant de variables pour faire rentrer dans des typologies ce « grand public ». Pour autant, ces constats posés par l’expertise des professions culturelles n’ont pas de réalité propre ni admissible, pour ces mêmes publics. En somme, expliquer à un public qu’il est précaire ou vulnérable ne fait qu’agrandir le fossé et cultiver autre chose : le mouvement en ciseaux, éloignant davantage pour stimuler le désenchantement d’une culture et d’un art d’entre-soi. D’ailleurs, en posant la question à certains opérateurs de l’action culturelle durant la réalisation de ce reportage, la question arrivait : finalement, pourquoi chercher à aller vers tous les publics ? Hormis, bien sûr, la nécessité, posée comme un fait établi, de permettre à toutes et à tous de prendre part à la culture. De quelle culture parle-t-on et surtout, quelle proposition est adressée à autant de publics qui ont des pratiques culturelles, dans et en dehors des réseaux institutionnels ?

Capital culturel et vase communiquant

Cette étape n’est pas toujours claire quand il s’agit de penser un projet culturel, donc un projet politique. En cela, la médiation culturelle, appelée de ses vœux par Danielle Pailler et toute l’équipe de la Direction culture et initiatives, apparaîtrait essentielle. À condition, bien sûr, de s’entendre sur ce prisme divergent qu’est la médiation : doit-elle servir à vulgariser, à créer les possibles de la rencontre, ou autre chose ? Le transfert supposé de capital culturel en vase communiquant ayant bien vécu, il serait de fait urgent de repenser le lien aux publics dans la chaîne de production de valeurs unissant et désagrégeant un corps social : la culture.

La culture se doit-elle d'être gratuite ?

Parmi les grands débats des politiques culturelles, la gratuité tient le haut du pavé. À tort ou à raison ? réponse en vidéo autour des propos de Caroline Urbain, fervente militante de la gratuité.

Si ce chantier prend du temps, autant s’y mettre tout de suite. C’est sans doute ce qu’il s’est dit lors de la rencontre de Caroline Urbain, chercheuse partageant ces valeurs de médiation culturelle, lors de sa rencontre avec André Lebot, directeur du Restaurant social Pierre Landais, accueillant les individus en précarité à deux pas des industries « créatives » de l’Île de Nantes. Dans ce laboratoire vivant et vibrant, la culture n’est pas amenée sur un plateau-repas pour les précaires. Elle s’invente, se métisse, s’invite à tous les étages d’une vie quotidienne : de Lucrèce Borgia à Jamel Debbouze, dans un savant mélange de réflexion et d’action plus « concrètes », en tout cas palpable pour les bénéficiaires du « restau’ » ; on commence par partager le gâteau de midi avant de se rendre compte que celui qui vous le demande, c’est Dominique. Chanteur français, connu pour le Courage des oiseaux ou le Twenty-Two Bar, qui vient manger un midi de janvier avec les publics habituels de Pierre Landais. Et là, personne ne semble empêché, ou encore non-public.