Un art vivant, utile et social

Tous contributeurs ? En cherchant à amener des artistes sur les campus, c'est l'opportunité de créer des coopérations entre les habitués de l'Université de Nantes et les créateurs. Avec une attention particulière : le faire ensemble, pour garantir un idéal démocratique.

Dans ce coup de billard à trois bandes qu’est la culture à l’Université de Nantesce triangle vertueux conceptualisé par Danielle Pailler et Laurent Hennebois – l’artiste tient une place de choix. Tour à tour provocateur de rencontre, révélateur de potentiel et parfois transmetteur de compétences, ce créateur est aussi celui qui travaille avec un territoire hybride, d’étudiants, de personnels, de chercheurs. Ceux que Louise Hochet, coordinatrice d’« Art vivant Art utile » nomme les « universitains ».

L’aiguillon extérieur est ici artiste

Ce néologisme est pratique, mais aussi riche de sens. En créant des brèches dans les cases séparant les différents résidents de l’Université, on affiche davantage un bien commun à construire, de son point de vue et avec son expérience : la culture. L’artiste, tant insider qu’aiguillon extérieur, construit avec et pour l’Université. Un parti pris différent de l’invitation en résidence ou la figure plus connue du « 1 % artistique », laissant à la place un espace bordé et cadré pour s’exprimer. Ici, l’art s’infiltre partout, et c’est tant mieux, si l’on écoute la Direction culture et initiatives ainsi que les artistes.

L'algorithme poétique

Samuel Tapie multiplie les rapports d'étonnements : depuis 5 ans, il accueille les comédiens de la compagnie des ateliers du spectacle. De quoi bousculer le quotidien de maître de conférences, et de saisir sa vision en vidéo.

L’art s’infiltre partout, ou presque. Ce n’est pas si simple. Au-delà de vouloir créer avec les « universitains », cet art contributif, pour certains « art social », doit d’abord être appréhendé comme un outil de rencontre. Ce métier à tisser des liens souvent composites se fait d’abord sur un support de recherche. Quand un chercheur en mathématiques comme Samuel Tapie accueille les comédiens de la compagnie des ateliers du spectacle, la curiosité est le premier moteur de rencontre. Cinq ans après, elle ne l’est plus. De fait, cette curiosité a laissé sa place au protocole de recherche – et ludique – d’artistes composant des spectacles dans le laboratoire de mathématiques. Contribution qui va jusqu’à la représentation, où les chercheurs déclament face à ce « grand public » vers lequel ils sont censés communiquer leurs travaux de recherche. L’art en agitateur construit ici une fenêtre précieuse entre deux milieux cherchant les ouvertures : l’art et la recherche.

Art vivant, art utile, art social

Comme on cherche des ouvertures, on s’applique aussi à trouver des terrains fertiles. Ceux de la résidence « Art vivant Art utile » par exemple, où l’on retrouve cette nécessité de créer ex nihilo ce qui sera de l’art à partager, ou ne sera pas. Ici se pose la nécessité de conceptualiser, mettre des mots sur une pratique qui ne se veut pas spectaculaire, et encore moins élitiste. Ce que Louise Hochet, après deux thés verts, tend à qualifier d’art social.

Le théâtre des opérations

Avec « Art vivant, art utile », on réinvente un art partageur et altruiste. Aux manettes et dans cette interview : Louise Hochet, plasticienne dans l'Atelier Banquise.

D’un art électrocardiogramme même. En commençant un travail d’année par une question : « où battent les cœurs des campus ? », l’artiste et ses quatre équipes aux disciplines variées (architectes, graphistes…) allaient prendre le pouls de ce fameux « territoire », qui entre parenthèses, revêt autant de définitions que de personnes. Ce territoire – concept cher aux institutions reprenant la topologie d’un espace, ses forces en présence et ses enjeux – se voyait représenté en cartographie subjective, permettant de déceler les arythmies et les souffles au cœur de certains campus, en y incluant l’Institut universitaire de technologie de la Roche-sur-Yon. De ce rapport sociologique, l’artiste compose et créée une réalité à partir des premières représentations des « universitains » contributeurs aux travaux préparatoires. Surtout, ne cherche pas à « arriver en terrain conquis » pour Quentin Bodin, comme si l’artiste cherchait la rencontre en préambule de la création. Au moment de la mise en forme d’idée, place aux propositions de réponse à des problématiques simples, comme le manque de convivialité du hall Tertre. Les architectes en résidence répondent en créant du mobilier mobile ; d’autres, ceux mandatés pour la réhabilitation du lieu, préparent une démolition en 2018.

Un super terrain à inventer

Cette manière « collective » où les « universitains » composent avec les artistes fait écho à ce mouvement plus large des créations partagées, instaurées notamment dans les quartiers populaires de la Ville de Nantes pour rapprocher, par le fait artistique, les habitants et les artistes. Derrière cette philanthropie, on y voit aussi des procédés plus souples, mais en réalité très exigeants pour l’artiste comme pour le participant. En questionnement : la manière de faire collectif sans imposer, et bien sûr, susciter des formes pertinentes pour l’un et l’autre. En cela, cette résidence a trouvé écho dans les pratiques, notamment avec Claudine Paque, enseignante chercheuse et coordinatrice culturelle à La Roche-sur-Yon, qui chaque année depuis la résidence, invite les graphistes de Super Terrain, dont Quentin Bodin fait partie, à inventer des formes artistiques avec les étudiants.