L'art se doit-il d'être utile ?

Les arts et les cultures sont des vecteurs de bien commun, et donc de politique. À condition de comprendre finement les rapports qu'entretiennent les artistes, les étudiants et l'institution à un projet collectif.

Il n’y a pas de doute : l’art de Louise Hochet se définit avant tout comme un « art utile ». « Utile » dans la rencontre et la création du collectif. Un outil donc, appliqué à un cadre donné comme la résidence « Art vivant Art utile » sur les campus de l’Université de Nantes. Quatre équipes, dont des architectes et des graphistes, créaient depuis les lieux d’enseignement en session de trois semaines, en immersion, comme pour mieux sentir tout ce qui compose la réalité des étudiants, des personnels, des chercheurs, ces « universitains » comme elle aime à les appeler.

S'empêcher de tourner en rond

En associant les artistes aux temps forts de la vie universitaire, il s'agit de s'ouvrir à de l'inattendu et à la création d'expérience à vivre : détails en vidéo.

Pour autant, l’art doit-il être appliqué ? Doit-il être un outil d’une boîte à idées pour susciter les prémisses de la rencontre ? À cette question éminemment importante, Marina Pirot, en charge de la coordination de la résidence pour le demi-siècle de l’Université avec l’équipe INTERIM, tempère très vite le propos. Pour elle, s’il y a bien une priorité, c’est celle d’accorder ce droit de la création à dériver, à s’enrichir des propositions sans autant border, et voir en l’art un espace, imaginaire. Deux écoles donc : celle du bateau à moteur et du bateau à voile pour tracer des bords avec quelques détours. En espérant arriver à bon port : la satisfaction de l’institution, ici commanditaire, et bien sûr, la qualité de l’expérience vécue par les publics, souvent sollicités pour ces interventions artistiques.

De l’utilité de l’art

L’apologie du détour. Voilà qui résume l’approche de Marina Pirot lorsqu’il s’agit de penser, comme l’institution peut le nommer, « un projet artistique de territoire », entendez ici une intervention d’artiste au contact d’un public. Cette demande, sous forme d’incitation de la part de l’institution universitaire, se fait elle aussi avec des prérogatives essentielles : en quoi un projet artistique, une résidence par exemple, servira par la suite le bien commun des étudiants, des chercheurs, des personnels administratifs…qu’attend-on, en somme, d’un artiste au contact des publics ?

Les réponses peuvent être multiples : une œuvre constituée, un atelier de découverte, une grande exposition, un spectacle… car sans la forme finale, difficile pour un commanditaire, mais aussi financeur, de considérer un projet d’artistes au contact d’étudiant. Dans les exemples récents, Magali Babin, artiste au contact des étudiants de pharmacologie, propose une intervention sous la forme d’ateliers de pratiques, puis une exposition restituant le travail ; Marina Pirot, pour fêter les 50 ans de l’Université de Nantes, organise une grande fête ; Balthazar Daninos et Léo Larroche, miroirs dramaturges de Samuel Tapie lors des résidences de comédiens en laboratoire de mathématiques, préparent un spectacle. La face visible de l’immersion artistique est donc la restitution, face public, pour présenter un processus artistique, pourtant épicentre du résultat, et difficile à quantifier.

La diffraction du réel

L'art de convoquer les réponses esthétiques dans le quotidien universitaire : c'est une des missions de la Direction culture et initiatives pour pousser les limites de ce que l'on fait à l'Université : exemples en vidéos.

C’est Claudine Paque, enseignante chercheuse à La Roche-sur-Yon, qui y reviendra en premier. Elle qui accueille Super Terrain tous les ans depuis la résidence « Art vivant Art utile » insiste sur le fait de ce processus artistique. Pour elle, une étape considérable est franchie depuis la mise en place des résidences, ces temps d’une semaine à trois semaines en présence des artistes sur le campus. Ce partage, cet apprentissage, permettraient selon elle de lever les freins sur la pratique, voire de « faire de la culture sans même s’en rendre compte ». Vanina Andreani, du Fonds régional d’art contemporain, elle aussi analyse le processus : celui dans lequel l’artiste, les publics et le commanditaire forment une chaîne pour amener un projet à voir le jour. Cette maturation, faisant l’éloge du temps long, est précieuse pour ces expertes des arts et des cultures partagées.

Cette vision appliquée, celle de l’art-outil, l’art utile, est donc à nuancer, complexifier. D’où l’autre pivot, peu évoqué par nos interviewés, mais bien dans les esprits : la médiation culturelle. Cette même médiation permettant d’atténuer la polarisation entre les publics touchés ou pas, ceux qui aime ou pas, et faire donc de ce « ou pas », un « pourquoi pas ? ». C’est là que les travaux de Danielle Pailler sur le sujet, d’ailleurs à l’origine de la politique culturelle actuelle du campus, sont à rappeler et encourager. Pour instituer un rapport d’égal à égal entre les porteurs d’un projet artistique et les contributeurs, voire les publics.