La culture de pairs à pairs

Si la culture n'est pas fonctionnelle, elle serait essentielle. Pour forger une identité commune et exister autrement que par une norme administrative ou professionnelle.

L’enseignement supérieur, toujours plus sectorisé, découpé en options et cursus optionnels, tend toujours davantage à singulariser l’expérience des études de ces trois, cinq, huit années passées à préparer son avenir. Quand bien même le travail collaboratif est encouragé, les principes de notation et de cursus sur-mesure individualisent aussi le rapport à ce passage universitaire. Une réalité à prendre en compte dans les propositions artistiques et culturelles.

Ce constat posé croise la réalité d’une Direction culture et initiatives qui s’attache à créer cultures et pratiques communes sur un campus de passage, pour les quelques 40000 étudiants rattachés aux enseignements disciplinaires. Si les relations amicales ou professionnelles tendent certainement à favoriser l’homogénéité, les pratiques artistiques et culturelles offriraient peut-être un « troisième lieu », celui de Ray Oldenberg, ni celui de la maison, ni celui du travail, pour permettre un espace à imaginer et construire collectivement. Dans les faits, c’est éminemment plus complexe, puisque ces mêmes pratiques culturelles et artistiques concentrent certains pour en éloigner d’autres. Des polarisations à rapprocher donc, pour la Direction Culture et Initiatives, qui, et il n’y a pas de hasard, est justement sise au « Pôle Étudiant ».

Inventer un troisième lieu

Les étudiants comme la Direction culture et initiatives cherchent de nouvelles manière de faire culture. En misant sur les vertus du collectif.

Dans ce Pôle Étudiant, au premier étage, la cafetière est un endroit de convergence entre la Vie Étudiante, la Direction culture et initiatives et la programmation des concerts. De ce couloir émanent les propositions qui s’incarneront dans les quotidiens des étudiants, le soir pour les ateliers ou pendant les cours, lorsque l’art et la culture s’invitent par exemple en pharmacologie ou en mathématiques. Le plus souvent, ce sont les partenaires de ce « vaisseau de rencontres » qui franchissent les portes coupe-feu de la direction ; moins souvent, les étudiants eux-mêmes, publics cibles de ces politiques. Pour le public étudiant, on associe le plus souvent ce Pôle aux soirées concerts à la programmation fine et marquante, au panini poulet, à un lieu bondé à la mi-journée.

Étonnant contraste dans cette fusée à deux étages depuis laquelle est pensée et pratiquée la culture. En réalisant ce documentaire, nombreuses ont été les rencontres avec les étudiants pour questionner leurs représentations de la politique culturelle à l’Université de Nantes. Et souvent, un constat est de mise : la culture, c’est avant tout celle que l’on voit, que l’on touche, que l’on partage – tout le contraire en somme, d’une politique culturelle. Pourtant, les deux sont bien associés dans le « faire culture » sur les campus.

Des pierres à l'édifice

Érigée en cause commune, la démocratie culturelle est portée par la Direction Culture et Initiatives. L'institution souhaite inventer avec toutes et tous ce qui fera culture demain.

L’éclairage vient entre autres de Maïa David, interviewée sur l’exposition qu’elle et son groupe d’étudiantes en médiation culturelle proposent à la bibliothèque de Droit. Pour elle, il ne suffirait pas que les institutions soient géographiquement proches des étudiants ; mais qu’elles s’interrogent sur la proximité incarnée, partagée pour créer les points de rencontre. Cette proximité précieuse ne serait pas à construire uniquement avec les opérateurs artistiques de la culture à l’Université de Nantes, mais aussi avec les décideurs, les directeurs et toutes celles et ceux qui orchestrent le quotidien d’arts et de culture que l’on retrouve ici et là. Un besoin de proximité qui fait sens aussi pour d’autres étudiants regroupés pour dessiner ce que pourraient être les suites du projet culturel. La même volonté de connaître les interlocuteurs, dans ce qui serait un champ anonyme fait de bâtiments et de numéro de salle. Alors, pourrait-on imaginer des assemblées régulières pour partager la politique culturelle en place ?

Les vies étudiantes

Gérer son titre de transport. Partir en voyage humanitaire. Monter son prochain projet associatif pour diffuser du cinéma. Créer un média. Tout ceci passe forcément par la Vie Étudiante, et sa directrice Julie Belleil, qui revient sur 10 années à construire avec les étudiants des futurs possibles.

C’est en effet ce qui construit un bien commun : le sentiment d’appartenance à un autre tout que celui dessiné par les bâtiments, et les disciplines. En ce sens, il est toujours pertinent de noter les représentations sensibles, les cartographies subjectives, notamment l’objet mis en place en hors-d’œuvre de la résidence « Art vivant Art utile ». Opération intitulée « où battent les cœurs des campus ? », ce temps précieux de rencontre pour Louise Hochet a cimenté tout au long de l’année son travail de projection pour comprendre le vécu des habitants de l’Université, ces « universitains ». Et la proximité s’entend ici sous un autre aspect : celle qui va mettre le coup de démarreur à une réalisation commune. Comme l’histoire remarquée du « Fil » sur un autre campus, celui de La Roche-sur-Yon. La volonté première, celle de Claudine Paque et Julie Bellœil en charge de la vie étudiante, s’est peu à peu fondue dans une pratique autonome et émancipée d’étudiants qui, ensemble, construisent une culture commune et une programmation culturelle. Cet exemple singulier, sur un campus moins dispersé mais très hétérogène de par ses filières représentées, donne une incarnation aux arts et cultures à l’Université. Caroline Urbain avance aussi dans ce sens, elle qui est chercheuse en gestion et engagée dans un combat pour l’accès de toutes et tous à la culture, en dehors de l’Université cette fois-ci : auprès du Restaurant social Pierre Landais, qui accueille les victimes de la précarité. À l’aune de cette autre recherche-action, il est sans doute judicieux d’éviter d’enfoncer des portes ouvertes.

Sans doute la plus évidente : celle considérant que l’art et la culture ont des effets cosmétiques, là où l’urgence est dans le logement ou l’accès aux soins. Maslow le pensait, Caroline Urbain et l’équipe du restaurant social Pierre Landais nuancent largement. Quand il s’agit de retisser des liens souvent rompus par les difficultés du quotidien, l’art et la culture sont aussi ces lieux de restauration de l’individu, et même aussi importants pour André Lebot, directeur du restaurant social. Humains avant tout, notre besoin de rencontre et d’ouverture est essentiel ; pour revoir son quotidien, se sentir partie prenante d’un ensemble plus large, qui partage cette culture. Si elle est un luxe, alors qu’elle soit un « luxe essentiel » pour la chercheuse Caroline Urbain. Une invitation à tous les étages, pour s’infiltrer dans le quotidien. Le mythe de l’artiste seul dans l’atelier a bien vécu, et le cliché de l’exposition hermétique aussi. Il s’agirait maintenant, à écouter nos témoins de ce documentaire, de mettre en place ces espaces non normatifs, non hiérarchisés, moins fonctionnels administrativement que riches d’interactions de pairs à pairs.