Le temps suspend son vol sur les campus

Laisser « art se faire », et prendre le temps de la médiation culturelle. Instituer l'art sur un campus est une démarche au long cours et à accepter en tant que tel.

« Quand le commanditaire et l’artiste se rencontrent, il faut dès le départ inclure l’idée d’aventure, de projet parfois à la dérive ». Cette citation de Marina Pirot, en charge de la venue de l’équipe INTERIM pour une résidence d’artistes fêtant les 50 ans de l’Université de Nantes il y a quelques années, appuie la nécessité première d’un projet artistique : un long cours, pour agréger les publics et les propositions artistiques.

Un temps libre à temps partiel

Ce temps, bien précieux et parfois rare, est sujet à de multiples interprétations. Avec bien souvent, des présupposés : « les étudiants ont du temps ». De moins en moins pour l’observatoire de la vie étudiante, qui précise que 45 % des étudiants cumulent job et études. Ce temps, tour à tour « libre » quand il n’est pas « partiel », ne facilite évidemment pas les propositions aux utilités jugées indirectes, prenons ici comme exemple les propositions artistiques et culturelles dans un cadre universitaire. C’est pourquoi la mise en place de la politique culturelle de l’Université cherche la proposition artistique dans la discipline, pendant le temps « utile », celui de l’acquisition de compétences, pour décaler le regard. Sans pour autant laisser le temps si « libre » pour les étudiants, en orchestrant une trentaine d’ateliers ouverts et gratuits pour toutes et tous.

L'art de la brèche

L'Université de Nantes mise sur des interstices depuis lesquels proposer des actions culturelles et artistiques. Ici, on n'impose pas, on propose. Détails en vidéo.

Chez les artistes passés par l’Université, ils sont unanimes. Sans des temps longs – ce qui correspond de trois semaines à une année en fonction de la complexité de la proposition – il serait difficile de sentir l’environnement, rentrer en phase avec un public d’« universitains » fait d’enseignants-chercheurs et d’étudiants. En allant plus loin, seul ce temps donné à la réalisation d’une forme artistique serait garant de la qualité de la proposition ; pour certains, ce temps long permet de laisser l’art se faire, et créer la dérive, l’inattendu. Sans oublier l’audace.

Une figure imposée parfois complexe

Pour une institution comme l’Université de Nantes, faire intervenir une résidence d’artistes sur le campus participe tant d’un objectif politique – favoriser le bien commun – que de diffuser un cadre de valeurs et de principes fondateurs d’une identité – une culture chercheuse, non spectaculaire et philanthrope. Valeurs et principes qui doivent, pour Danielle Pailler, exister tout au long de la chaîne de création : du cahier des charges, à la présentation publique. C’est pourquoi la médiation culturelle se ferait dès le départ, à écouter Marina Pirot. Dès la rencontre entre les orchestrateurs d’un projet – ici l’Université et ses solistes : les artistes. Une figure imposée qui n’est quand même pas si simple à réaliser.

Les mécaniques ondulatoires

Si l'Université de Nantes n'a pas encore résolu le mouvement perpétuel, elle sait proposer un projet qui ne campe pas sur ses acquis. En jouant les empêcheuses de tourner en rond, pour chercher des actions culturelles inédites.

Est-ce qu’une institution publique peut d’emblée signer pour une « aventure » ? Cette « aventure », artistique, et sans productions déterminées, trouverait sans doute des difficultés dans un contexte économique contraint, où la culture est pour certains accessoire. Hors, c’est justement dans cet inattendu que l’art prend forme pour les artistes et les enseignants chercheurs rencontrés lors des entretiens de notre documentaire.

Ce point de départ passe par la médiation culturelle, jouant aussi bien son rôle dans la rencontre entre l’artiste et l’institution, que l’artiste avec les publics. Ici, le terme de médiation s’entend dans un terme qui revient sans cesse : le processus. Pour désigner la démarche, le protocole, la mise en route de plusieurs acteurs, vers un projet artistique qui peut unir, un moment donné, des visions différentes. Ainsi, pas d’exotisme à faire venir un artiste sur un campus ; plutôt, une recherche commune pour bousculer les habitudes et faire de l’art une variable incontournable.

Pas d’exotisme, et encore moins « d’animatoire » pour Quentin Bodin, graphiste de « Super Terrain » qui depuis sa rencontre avec l’Université lors de la résidence « Art vivant Art utile » revient par session, sur les campus. Lui qui orne les campus d’affiches ou de journaux éphémères ne voit pas d’autres options que les temps longs pour faire sens. Pour veiller aussi à l’intégrité de sa pratique plastique, en veillant à ne pas « faire pour faire », en produisant une culture hors-sol, où sa vision l’emporterait sur l’immersion dans le campus. Et pour finalement, redonner à l’animation son sens premier, celui de l’animus, du souffle, de l’esprit d’arts et de culture qui se mêlent sur un campus.